La
traite négrière, l’esclavage et
les abolitions
Quelques points de repère
Pour répondre au besoin de main-d’œuvre
dans ses colonies, l’Europe déporte vers
les Caraïbes et les Amériques des millions
de captifs africains du XVIe au XIXe siècle.
En quatre siècles, ils sont 15 à 18
millions à traverser ainsi l’Atlantique.
Mais ils sont aussi cinq fois plus nombreux à
y laisser leur vie : les uns sur la terre d’Afrique,
lors de la capture ou dans les convois vers les zones
côtières, d’autres dans les entrepôts,
d’autres encore au cours de la traversée,
terrassés par les famines et les maladies ou
victimes de la répression de leurs révoltes
sur les bateaux négriers.
Les circuits de la traite transatlantique sont multiples.
Quittant l’Europe – depuis Liverpool,
Bristol, Le Havre, Saint-Malo, Lorient, Nantes, Bordeaux
ou Lisbonne – chargés de marchandises
d’échange (armes, alcool, étoffes…),
les navires négriers longent la côte
africaine, du Sénégal à l’Angola,
pour y charger leur cargaison d’esclaves. Au
terme d’une traversée longue parfois
de plus de deux mois, ils accostent aux ports du Brésil,
des Guyanes, des Caraïbes et des États-Unis.
D’autres circuits s’organisent depuis
la côte orientale de l’Afrique et de Madagascar
vers les îles Bourbon (La Réunion) ou
de France (Maurice) et vers l’Amérique
du Sud. D’autres encore convergent vers l’Afrique
du Nord en traversant le Sahara.
Dans les mines comme sur les plantations, l’esclavage
est une mort sociale. Le captif est dépossédé
de toute identité ; le maître, dont il
est la propriété, a droit de vie et
de mort, et fixe son régime de travail et de
châtiments. Les « coutumes coloniales
» font loi : les assemblées de planteurs
font fi des réglementations du pouvoir central,
tel l’édit du Code noir publié
en France en 1685. Productivité et violence
régissent la vie sur les habitations (sucre,
indigo, café, tabac). Les disettes sont fréquentes.
La règle qui prévaut est celle de l’exploitation
maximale de la main-d’œuvre servile et
de son renouvellement régulier par la traite.
Dès le XVIe siècle aux Caraïbes
et aux Amériques, puis au siècle suivant
dans les îles de France et de Bourbon, la résistance
s’organise contre ces deux piliers de la colonisation
européenne, la traite négrière
et l’esclavage. Les révoltes sur les
navires, le marronnage, la construction de refuges
fortifiés dans les montagnes – les grands
camps de Guadeloupe et de Martinique, les palenques
des colonies espagnoles, les quilombos du Brésil,
les cirques des montagnes réunionnaises –,
contre lesquels les autorités coloniales lancent
de véritables guerres, sont autant de signes
de cette résistance. Ceux qui ne fuient pas
luttent, au quotidien, par le sabotage, l’empoisonnement
du commandeur ou du maître, ou par le suicide.
La révolte qui éclate dans la riche
colonie française de Saint-Domingue dans la
nuit du 22 au 23 août 1791 aboutit à
la proclamation, sur place, de l’abolition de
l’esclavage en 1793, puis à l’adoption
du décret d’émancipation du 16.pluviôse
an II (4 février 1794) par la Convention.
La résistance au rétablissement de
l’esclavage par Napoléon Bonaparte (décret
du 20 mai 1802) fut l’occasion d’une féroce
répression. Au terme d’une guerre contre
les armées de Bonaparte, en 1802-1803, et après
la capture et la mort du général en
chef Toussaint Louverture, l’indépendance
de Saint-Domingue sous le nom de Haïti est proclamée
le 1er janvier 1804. L’esclavage est cependant
rétabli dans les autres colonies françaises.
Les premiers textes antiesclavagistes avaient été
publiés en Espagne dès 1554, mais c’est
pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle
que des mouvements antiesclavagistes apparaissent
en Occident : en Pennsylvanie dans les années
1780, à Londres en 1787 avec le Comité
pour l’abolition de la traite négrière
de la Société des amis et en 1839 avec
la British and Foreign Anti-Slavery Society, ou à
Paris avec la Société des amis des Noirs
(1788), le Comité pour l’abolition de
la traite et de l’esclavage de la Société
de la morale chrétienne (1822) et la Société
française pour l’abolition de l’esclavage
(1834). Le quaker Anthony Benezet, les Britanniques
William Wilberforce, Thomas Clarkson, les Français
Condorcet, Brissot, Mirabeau, l’abbé
Grégoire, Cyrille Bissette, Victor Schoelcher
multiplient les écrits et les interventions
auprès des gouvernements en vue de la suppression
de la traite négrière et de l’esclavage,
qualifiés dès cette époque de
crimes contre l’humanité.
La traite négrière, interdite dès
1807 par l’Angleterre, fait l’objet de
mesures de répression peu efficaces tout au
long du XIXe siècle. Durant toute cette période,
la traite illégale déporte encore 4
millions de captifs africains vers les Caraïbes,
les Amériques et les îles de l’océan
Indien.
Le gouvernement provisoire français arrivé
au pouvoir lors des journées révolutionnaires
de février 1848 proclame enfin l’émancipation
en Martinique (73 500 esclaves), en Guadeloupe (87
000 esclaves), à la Guyane (12 500 esclaves),
à La Réunion (62 000 esclaves) et au
Sénégal (7.000 esclaves). Elle est promulguée
en Martinique le 23 mai 1848, le 27 mai en Guadeloupe,
le 10 août en Guyane et le 20 décembre
à La Réunion.
Dans les années suivantes, le gouvernement
français fait appel pour ses colonies des Caraïbes
et de l’océan Indien à une main-d’œuvre
recrutée sur contrats en Afrique, en Inde et
en Chine.